L'Affaire Bellounis et la Première Guerre Civile Algérienne

(1957-1960)

L'un des épisodes les plus sombres et les moins racontés de la révolution algérienne

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I-6- La Rupture

     En avril 1958 : au sein de l’ANPA le drame éclate. Tous les articles de presse parus à l’époque ont présenté la chose comme étant une dissidence pro-FLN de certaines unités de Bellounis. Interprétation totalement fausse et même à contre sens. L’origine de cet éclatement est à rechercher dans l’attitude du « général en chef » à l’égard du MNA.
Bellounis, en effet se montrait de plus en plus indépendant envers le parti de Messali Hadj. Il critiquait fréquemment la politique du MNA et finit par ne plus dissimuler sa franche hostilité à ce mouvement. En réalité, nous pensons que cette conduite n’était qu’une réaction contre d’éventuels maîtres que la boulimie d’autorité du chef de l’ANPA ne pouvait souffrir.
Nous avons déjà dit que cette évolution mécontentait grandement certains officiers de l’armée algérienne. Parmi ceux-ci était ce capitaine Meftha qui avait voulu écraser la harka de Chérif Sultani.

Le capitaine Mestha, environ 35 ans, est un « vieux » militant MNA quine jure que par Messali Hadj. Il était parmi les hommes de Ziane qui se rallièrent à Bellounis en aout 1957, après avoir neutralisé les chefs frontistes. C’est un anti-FLN acharné, mais qui ne fut jamais pour autant très chaud partisan de la trêve avec l’armée française. Plein de scrupules, il est incapable d’abattre un homme de sang froid et cependant fait preuve d’un très grand courage et même de témérité dans le combat. Comme il est également très simple, il est très aimé des combattants qu’il commande. L’unité habituellement sous ses ordres est un bataillon de « vieux de la vieille », surnommé « la Légion » pour son agressivité dans les attaques. Il suffisait souvent de demander où se trouvait le bataillon Meftha pour savoir où le feu brulait.

En mars 1958, sur ordre de Bellounis, Meftha avec deux compagnies (environ 250 hommes) est affecté au secteur Boukhil. Le capitaine contacte alors par lettre, vers la fin du mois, tousbles chefs d’unités qu’il juge réellement et sincèrement messalistes. Il leur soumet et leur demande d’approuver le programme suivant :
1° Réaffirmer que seul Messali Hadj peut porter le titre de Chef National ;
2° Reconnaître Bellounis comme chef militaire, commandant de l’ANPA et rien de plus ;
3° Exiger de Bellounis qu’il prenne contact, dans les plus brefs délais avec Messali Hadj et le MNA et qu’ensuite il se conforme strictement aux directives qui lui sont données.

Nombreux furent les officiers contactés qui secrètement firent parvenir leur approbation écrite à Meftha. Citons le commandant Abdel Kader Latreche, le capitaine Kouider Naâr, le lieutenant Larbi Aïn Rich (celui de Ksar El Hirane), le lieutenant Belgacem, le capitaine Si Mouloud et d’autres encore. Le capitaine Meftha qui entre temps avait reçu des renforts et se trouvait à la tête de plus de 500 hommes, adresse alors à Bellounis ses propositions et l’informe de sa décision de ne plus combattre sous ses ordres s’il ne les acceptait pas. Dès réception de cet ultimatum, « le général en chef » réplique en montant une expédition à laquelle 2500 combattants environ prennent part, pour étouffer cette « rébellion ». Le commandement en est confié au commandant Latreche, promu colonel pour la circonstance et dont Bellounis ignorait le ralliement aux idées de Meftha.
Latreche part, rencontre Meftha et renvoie quelques jours plus tard les unités de l’opération qu’il dirigeait dans leurs secteurs originaires respectifs.

Deux semaines après son départ, Latreche est de retour à Diar Chioukh. Il est suivi à quelques heures par une compagnie de Meftha avec lequel il a conçu un plan : le soir même cette compagnie doit encercler le PC pendant que Latreche enlèvera Bellounis pour l’amener à Boukhil. Mais soit que le chef de l’ANPA se méfie, soit que Latreche ait trop tôt découvert son jeu, le projet échoue. Le général fait saisir par ses gardes du corps celui qui une quinzaine auparavant il avait nommé colonel (30). En même temps, le colonel Selmi qui commande les compagnies de sécurité du PC fait ouvrir le feu sur les hommes de Meftha qui commençaient leur encerclement. Le lieutenant Belgacem, adjoint du capitaine « rebelle » est tué. Une grande partie des assaillants n’osent pas tirer sur des frères de combat. Cette passivité cause l’arrestation par les troupes de sécurité d’une centaine d’entre eux. Tous ces prisonniers seront le lendemain abattus sur ordre de Bellounis au djebel Gouaiga (31). Ceux qui ont pu s’échapper se replient sur Mouillah d’où se transportant par camions, ils retournent à Boukhil rejoindre Meftha.
Le complot pour se saisir du « général en chef » fait long feu. Pourtant, il n’en reste pas moins que l’ANPA est disloquée. Le Lieutenant Larbi Aïn Rich, du secteur de Laghouat rejoint aussitôt Meftha. D’autres l’imiteront par la suite. C’est pour l’instant une petite fraction de l’armée algérienne. Mais elle s’agrandira et la cassure ira s’accentuant car Bellounis ne saura pas préserver l’unité de ses troupes.
Cependant, les affaires ne s’arrangeaient pas mieux avec les autorités françaises pour l’ANPA. Le gouvernement général ou plutôt le Ministère de l’Algérie semblait cette fois décidé à mettre fin à la situation assez extraordinaire que constituait l’alliance conclue en juin 1957.

Les discussions se poursuivaient de plus en plus âpres entre Bellounis et les Français. Le premier n’acceptait pas d’abandonner ses couleurs, ni opter pour la politique algérienne du gouvernement français et toutes les menaces n’y faisait rien.
Le coup de tonnerre du 13 mai 1958 survient en ces circonstances. Immédiatement, le ton change chez les délégués français : c’est dorénavant un ralliement pur et simple que l’on exige de Bellounis. L’ANPA doit s’intégrer dans l’armée française ! Et l’on ne parle plus de ces histoires de trêve ou d’alliance !

Le 5ème Bureau entre à son tour en jeu : c’est un déluge de tracts sur la zone Bellounis. Les autorités françaises s’adressent directement aux combattants par-dessus la tête de leurs chefs. Critiques contre le général, menaces d’anéantissement, appels à la fraternisation, les arguments les plus divers sont développés par les services psychologiques de l’armée. Ces derniers tentent même de se servir de l’affaire Meftha : un tract déversé sur des djebels affirme que celui-ci s’est rallié à la France.
Le chef de l’ANPA ne maintenait plus que des contacts épisodiques avec les français depuis la fin avril. Ses troupes sont dans la montagne. Ayant déjà à se débattre dans ses difficultés intérieurs, il n’hésite pas et se décide alors à prendre définitivement la dissidence. Le PC est abandonné, le matériel qui ne peut être emporté détruit. Toutefois, Bellounis ne cherche pas à rouvrir aussitôt les hostilités avec les forces françaises ; il donne à ses unités les directives suivantes :

1° Fractionnement des compagnies dont les sections doivent désormais se déplacer seules en ménagent entre elles une distance de 3 heures de marche (20-25 Kms). Le commandant de compagnie transmet ses ordres par agents de liaison ;
2° Les chefs d’unités et responsables connus doivent changer de pseudonymes et adopter celui que leur attribue le bureau des effectifs ;
3° Poursuivre la lutte contre le FLN, en économisant les munitions ;
4°Ne pas attaquer l’armée française, mais si elle cherche le combat « matraquer » sans esquiver.

Instruction était également donnée à l’organisation civile de contrer sur le plan de la propagande le 5ème Bureau Français.
Le Haut commandement, lui ne balança pas longtemps. Constatant que son offensive de propagande restait vaine, il passa brusquement à l’action. Le 21 mai 1958, l’armée accroche à djebel Zemra l’unité du lieutenant Boulahya consomme ainsi la rupture de la trêve.
Un point est clair : la « révolution du 13mai » n’est pas à l’origine du désaccord entre les autorités françaises et Bellounis. Mais il est non moins clair que la nouvelle politique menée à Alger après cette date ne pouvait que conduire à un durcissement des positions françaises. Et par là, la brisure était rendue inévitable, car le « général en chef » n’eut jamais pensé parader sur le forum aux côtés du harkiste Chérif Sultani.
De tous ces évènements, la direction politique du MNA ne savait à l’époque que ce que la presse en disait, c'est-à-dire pratiquement rien et surtout des inexactitudes. L’impossibilité des relations avec l’Algérie, conséquence du 13 mai ne pouvait que renforcer cette ignorance. Ils ont en était réduit alors aux hypothèses. La seule chose qui semblait sûre était l’échec de l’expérience de Bellounis.

 

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